Ma pin-up du mois

L'as de pique
L'as de pique
PIFFF 2023
PIFFF 2023
Soirée Perles rares vampiriques à la Cinémathèque
Soirée Perles rares vampiriques à la Cinémathèque

Ma Blogothèque cinéphilique

Suivre le site
Suivre le site

 

 

LA FORME DE L’EAU

 

GENRE : Histoire d’eau

REALISATEUR : Guillermo Del Toro

ANNEE : 2017

PAYS : USA

BUDGET : 19 500 000 $

ACTEURS PRINCIPAUX : Sally Hawkins, Michael Shannon, Doug Jones...

 

RESUME : Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultra secret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…

 

MON HUMBLE AVIS

Après un Pacific Rim bien bourrin (soit-dit en passant) et un Crimson Peak un peu décevant en terme d’enjeux, Guillermo Del Toro revient à son thème de prédilection, la figure du monstre, symbole de la peur de soi et de l’autre, confronté à une humanité violente. Ce n’est pas pour rien qu’il situe son action au début des années 60, au milieu d’une Amérique en pleine mutation entre guerre froide et accès à la société de consommation. Des thématiques servant de toile de fond à une histoire vieille comme le monde, l’amour entre deux êtres que tout oppose dans un ballet aquatique révélant une jeune femme muette et une créature amphibienne.

Dès la séquence d’ouverture, Del Toro immerge le spectateur dans les rêves humides d’Elisa (merveilleuse Sally Hawkins, Happy, Blue Jasmine), son appartement devenant un aquarium imaginaire comme une augure de ses futurs désirs. Parce que The shape of water (en VO) s’avère le réceptacle de toutes les angoisses latentes et les frustrations sexuelles, cristallisées à l’écran par des corps nus, des passages à l’acte et même la masturbation quotidienne de l’héroïne calée au fond de sa baignoire, dans un esprit très naturel, sans gêne ni voyeurisme. L’humanité tout simplement. Le réalisateur tord pourtant cette réalité et l’imprègne d’une forme de poésie afin de caractériser ses personnages dans un scénario malin embrassant plusieurs sujets et dans lequel naviguent un grand nombre de personnages qui, d’une certaine manière, sont tous des monstres chacun dans leur catégorie.

A la tête de ce Barnum humain, Guillermo Del Toro orchestre une histoire d’amour générant une multitude de micro-récits, de la petite à la grande Histoire. Certes, La forme de l’eau tourne autour de la passion naissante entre Elisa et cet homme-poisson (interprétée par un Doug Jones revêtant encore une fois avec brio la défroque d’un monstre après notamment le faune du Labyrinthe de Pan et surtout Abe Sapien de la saga Hellboy), proche de par ses origines et son physique de L’étrange créature du lac noir de Jack Arnold. Une des créatures mythiques du bestiaire fantastique qui n’est pas l’unique sujet du film, mais tout autant le point d’ancrage et d’achoppement entre deux mondes, celui très conservateur incarné par Strickland (impressionnant Michael Shannon, Midnight special) sorte d’inquisiteur moderne à l’aide de son fouet électrique chassant les communistes et toutes personnes susceptibles de détruire l’ordre moral ambiant, se muant lui aussi en monstre avec ses doigts arrachés puis recousus. Face à lui, Elisa représente la classe laborieuse, soumise, à l’image de son voisin Giles (Richard Jenkins, Bone tomahawk) homosexuel et travailleur journalier essayant de gagner sa vie en créant des affiches publicitaires à la main dans un monde déjà tourné vers la modernité.

De manière prégnante, le film est construit sur plusieurs dualités où l’amour du cinéma transpire de chaque pore de la pellicule (Elisa vit au-dessus d’un vieux cinéma). Si la salle semble souvent vide, les télévisions trônent dans les appartements et deviennent des objets de fascination distillant les programmes que les cinémas ne proposent plus. Certainement une charge frontale du réalisateur contre ce nouveau média au détriment du cinématographe. La forme de l’eau frappe donc par la profusion d’idées, entrouvert dans chaque tiroir du récit, passant du film d’espionnage (période de la guerre froide oblige) à la comédie musicale ou à la conquête de l’espace (la créature est plus qu’un enjeu scientifique, une possibilité de concurrencer les Russes sur le chemin des étoiles). En filigrane, le sort de la minorité noire est aussi évoquée avec le personnage de Zelda (Octavia Spencer vue dans Les figures de l’ombre), l’ami volubile d’Elisa. Dans cet univers très proche de celui de Caro et Jeunet (sans prendre parti sur les polémiques de plagiat évoqué par ce dernier, on pense beaucoup à Delicatessen ou Amélie Poulain, mais également au récent Cure for Life pour le côté laboratoire et série B), Del Toro crée une réelle empathie pour ses personnages, et les amours interdites entre la belle et la bête produisent une émotion toute en douceur (à l’image de la scène au son de la chanson de Gainsbourg) avec deux êtres différents à bien des égards qui se rapprochent grâce au langage des signes.

A l’instar de l’omniprésence du cinéma, la musique tient un rôle important accompagnant les personnages pour concrétiser leurs sentiments et tendre vers une forme d’émancipation, spécialement Elisa, femme de caractère et de lutte. Dans ce monde par moment un peu trop parfait, avec son souci du détail des costumes et des décors de l’Amérique du milieu du XXe siècle, ou des scènes et des personnages secondaires très appuyées (les séquences dans le café), afin de montrer les dysfonctionnements de la société (Strickland achète une grosse voiture pour matérialiser son autorité, les gâteaux consommés dans la boutique sont industriels), le long-métrage dénonce tout un pan d’une Amérique post seconde guerre mondiale se télescopant avec l’arrivée de la modernité, à l’image de la créature hybride parangon de différence. Ce parti pris de l’abondance des références montre surtout la générosité du cinéaste mexicain qui, avec un budget limité à près de 20 millions de dollars, livre un film très personnel oscillant entre plusieurs dimensions, aux antipodes des canons de beauté des acteurs ou des bonnes mœurs propres aux productions actuelles. Sa passion des monstres et du cinéma est au diapason de l’amour unissant Elisa et la créature, pur, simple et sans compromis. Porté par la musique d’Alexandre Desplat, La forme de l’eau est un ravissement visuel, rehaussé par une mise en scène propice à l’émotion, jusqu’à un climax rendant un ultime hommage aux monster movie avec la poésie élégiaque qui irise tant le cinéma de Guillermo Del Toro (les prix déjà acquis et ceux à venir couronneront au moins un véritable auteur).

 

4,5/6

 

Écrire commentaire

Commentaires: 15
  • #1

    Rigs Mordo (mercredi, 28 février 2018 21:53)

    Je vais pas dire que j'ai très envie de le voir, mais j'ai envie de le voir. Je n'ai adoré aucun film de Del Toro (Crimson Peak mis à part), mais je les ai tous apprécié, donc je sais que je vais bien aimer. Mais c'est vrai que je ne suis jamais totalement chamboulé par son style. Ca sera ptet pour cette fois! Très belle chro en attendant mec, même si avec ce froid polaire, j'ai hésité à me baigner :)

  • #2

    Roggy (mercredi, 28 février 2018 23:08)

    Merci l'ami ! Le film pourrait te plaire parce qu'il y a surtout un homme-poisson ! :)

  • #3

    Alice In Oliver (jeudi, 01 mars 2018 11:18)

    Guillermo del Toro revient à ses premières amour pour un long-métrage visiblement très convaincant, ce qui est plutôt rassurant après un petit passage à vide

  • #4

    titi70 (jeudi, 01 mars 2018 17:27)

    Pas trop tenté, même si j'avais bien aimé Crimson Peak. On dirait une nouvelle version de La Belle Et la Bête et je ne trouve pas ça très original.

  • #5

    Roggy (jeudi, 01 mars 2018 18:46)

    A Alice in Oliver,
    Je suis d'accord avec toi sur la qualité des derniers films de Del Toro. Celui-ci est une bonne fournée.

  • #6

    Roggy (jeudi, 01 mars 2018 18:50)

    A titi70,
    C'est effectivement une nouvelle version de la Belle et la Bête mais il y a également d'autres références comme La créature du lac noir.

  • #7

    Moskau (dimanche, 04 mars 2018 18:17)

    Un bon cru pour del Toro (à défaut d'avoir droit à un Hellboy 3 ou une adaptation des Montagnes Halucinées). Dommage cependant que le film ne se révèle pas plus surprenant.

  • #8

    Roggy (dimanche, 04 mars 2018 21:05)

    C'est vrai que le film n'est pas très surprenant même s'il reste original. En revanche, j'espère que l'on pourra néanmoins voir un "Hellboy 3" :)

  • #9

    Mr Vladdy (dimanche, 04 mars 2018 22:52)

    Comme toujours, Del Toro nous livre un film sublime. J'ai été pris par l'histoire mais je regrette qu'il n'est pas été plus subtil dans l'écriture qui frôle souvent la caricature facile et fait que je n'ai pas été transporté plus que cela. Un bon 4/5 pour moi néanmoins ;-)

  • #10

    Roggy (lundi, 05 mars 2018 07:39)

    On est donc à peu près d'accord sur le film :)

  • #11

    princécranoir (mercredi, 07 mars 2018 23:13)

    Je constate que ça baigne aussi pour del Toro du côté de chez Roggy ;-)
    Je te rejoins sur l'ensemble de ta chronique bien charnue, à la fois sur la qualité de la prestation de miss Hawkins (j'avais oublié son rôle dans Blue Jasmine, maintenant je la revisualise), sur les nombreuses références au cinéma de genre des années 50/60, l'émergence du Technicolor tandis que la très moderne télévision (avec une télécommande !) passe des films d'avant-guerre très surannés (Shirley Temple dansant avec Bojangles dans "little colonel"), et bien sûr la référence directe au Gill-Man du "Black Lagoon" de Jack Arnold, surtout sa suite directe sur laquelle il bâtit une partie de son scénario (la créature captive, les matraque électrique, la Créature qui s'échappe, "the Terror is loose !" clamaient les affiches de l'époque). C'est effectivement le mythe de la Belle et la Bête, un vieux thème de conte de fée déjà répliqué dans "King Kong" et dans "l'étrange Créature du Lac Noir". Mais c'est bien joliment raconté.
    Par contre, je vois bien ce qui peut rapprocher l'esthétique du film à ceux de JP Jeunet mais je ne vois pas où le plagiat se situe vraiment.

  • #12

    Roggy (jeudi, 08 mars 2018 19:12)

    Comme toi, je ne sais pas trop où est le problème avec Jeunet sauf si on prend la séquence du début dans l'appartement qui doit rejoindre celle de "Délicatessen". Sincèrement, je ne pense pas que Del Toro ait volontairement plagié un réalisateur français. Et pour une fois qu'on a un scénario un peu original...

  • #13

    princécranoir (vendredi, 09 mars 2018 19:12)

    Complètement d'accord.
    Et pour revenir sur JPJ, c'est marrant j'ai pas souvenir qu'il ait protesté beaucoup quand Besson lui a tout piqué pour faire Adèle Blansec...

  • #14

    tinalakiller (vendredi, 09 mars 2018 19:37)

    Très chouette critique qui résume bien tout le bien que je pense de ce film - même si quelques points me font un peu tiquer (la romance va un peu trop vite, la scène musicale est - selon moi - ridicule, globalement j'ai pas été autant émue que prévu etc...). Un très beau film ayant définitivement plusieurs niveaux de lecture (plus je lis de critiques, plus je m'en aperçois) qui réussit à parler à un grand public tout en proposant une réelle oeuvre d'auteur.

  • #15

    Roggy (vendredi, 09 mars 2018 19:51)

    Merci Tina ! Effectivement, le film possède plusieurs niveaux et en le revoyant dans le futur, il est possible que l'on découvre d'autres détails. Quant à la séquence de comédie musicale, elle ne m'a pas dérangé et n'est pas très longue. Elle montre surtout que Del Toro fait ce qu'il veut dans ses films. Ce qui est plutôt positif à mon sens.